Réalisatrice croate, auteur du documentaire « La forêt insoumise », elle a assisté à la première de son œuvre en France. Nous avons saisi l’occasion de parler de son travail.
Madame Habjan, vous travaillez à HRT (Radio et Télévision Croates) et vous avez déjà plusieurs films documentaires à votre actif. Récemment, votre œuvre « La forêt insoumise » qui parle du poète croate Radovan Ivšić (1921, Zagreb- 2009, Paris) a été diffusée à la télévision croate. Né à Zagreb et mort en 2009 à Paris, ce poète est resté relativement peu connu du large public. Ceux qui se rappellent de ses poésies et de ses pièces de théâtre sont soit des professionnels du théâtre, soit des critiques littéraires, soit des amateurs de la poésie. En outre, Ivšić a été déclaré politiquement inacceptable à deux reprises ; la première fois à l’époque dite du NDH (l’Etat indépendant croate pendant la Deuxième guerre mondiale) et la deuxième, à l’époque du socialisme de l’après guerre quand il a été systématiquement empêché de travailler. Qu’est-ce qu’il vous a poussé à commencer ce projet ?
AMH : Il y a quelques années, le Musée de l’art contemporain de Zagreb (MSU) a organisé une magnifique exposition sur les surréalistes. Un jour, j’ai été contactée par la directrice du MSU, Mme Snježana Pintarić. Connaissant déjà mes autres documentaires, elle m’a dit que l’exposition serait une très belle occasion de rencontrer des personnes qui se souvenaient encore d’Ivšić et qui pourraient parler de lui en bonne connaissance de son œuvre et de son époque. J’ai aimé l’idée et c’est comme ça que nous avons commencé à y travailler. En réfléchissant, nous avons compris que l’espace du MSU ainsi que les œuvres surrealistes exposées pourraient servir de mise en scène pour le tournage. Ainsi, tous les plans où de grands spécialistes croates s’expriment à ce sujet, comme dans le cas du professeur Machiedo, ou du critique littéraire Zvonimir Mrkonjić, ont été tournés au MSU, pendant la période de l’exposition. Ensuite, c’est le Service de documentation du MUP qui nous a aidés à trouver des enregistrements que l’on voit au début du film où le poète récite sa poésie chez lui, dans son appartement parisien (Quand vous dites une bombe, moi je dis une pomme). Grâce à Mme Seadeta Minđić, nous avons trouvé le tout dernier plan. C’est la séquence où le poète se trouve devant un refuge de montagne, perdu dans les forêts de Medvednica, la montagne derrière Zagreb. Il s’adresse à la caméra et envoie son message aux gens en leur conseillant de rester eux-mêmes, de ne pas se laisser tromper par les soi-disant intellectuels qui n’œuvrent pas pour le bien commun mais pour leur propre intérêt. Dans cette scène finale, Ivšić leur demande de rester libres (C’est difficile, mais on peut y arriver). Ce sont justement ces derniers mots, sa sagesse, la douceur de ses vieux jours malgré la pression politique subie ainsi que la sérénité qui règne dans la forêt, qui nous ont aidés à terminer notre film de la meilleure façon possible. C’est dans ces mots-là que nous avons trouvé le juste ton.
Comment avez-vous réussi à rencontrer autant de personnes qui le connaissaient à Paris ? Il m’est difficile de croire qu’un beau jour vous êtes arrivé en France et que par chance vous avez trouvé ses amis d’antan, son éditeur… AMH : Pour toutes les séquences tournées à Paris, l’aide de son épouse Annie Le Brun a été précieuse. Elle a fait connaissance de Radovan Ivšić quand elle était encore une jeune fille d’une vingtaine d’années. Ivšić, lui, avait la quarantaine. Ils se sont aimés et ont passé toute leur vie ensemble. Annie était notre guide à travers le milieu culturel parisien, sans elle et son expérience, sans ses connaissances, je ne suis pas sûre que le tournage à Paris aurait été possible. Comme sur un plateau, elle nous a servi les noms des gens importants, leurs adresses, etc. Les portes de leurs maisons ainsi que celles des bureaux de Gallimard, son éditeur, s’ouvraient comme par magie. Nous n’aurions jamais pu pénétrer dans ce monde sans elle. Par exemple, nous avons pu tourner dans leur appartement et nous y avons longtemps filmé leur immense bibliothèque. Leur album photo, lui aussi, nous a été mis à disposition. Précisément, ce sont ces vieilles photos dénichées qui se sont avérées être un véritable trésor et nous les avons utilisées plus tard pour le film. Ce sont ces petits détails qui nous permettent de reconstituer son passé, comme s’ils insufflaient la vie à l’histoire que vous êtes en train de raconter. Pendant notre séjour, Annie est restée à nos côtés en nous emmenant chez de jeunes professeurs qui étudient l’œuvre d’Ivšić avec leurs étudiants ou bien chez Gallimard, le plus grand éditeur français.
A ce jour, où a-t-on pu voir votre documentaire ? AMH : Ce film a été produit par HTV et leur Département des documentaires en collaboration avec le MSU. Son propriétaire est donc le HTV. Pour l’instant, il n’a été diffusé qu’en Croatie. Grâce au soutien de l’association académique AMCA de Paris, l’avant-première française a été organisée dans les locaux de l’Ambassade de Croatie. J’ai été agréablement surprise par le grand nombre de personnes présentes dans la salle; sincèrement, je ne m’y attendais pas. Le prochain pas dans la promotion est de se rendre au MIPCOM, la grande foire du programme audio-visuel qui a lieu chaque année à Cannes en octobre. Nous irons le vendre à d’autres chaînes de télévision européennes. Nous savons qu’il y a également une possibilité de le voir à l’une des chaînes françaises mais pour l’instant, il est beaucoup trop tôt pour en parler. En tout cas, il y a un service à HTV qui s’occupe de la vente de nos émissions à l’étranger.
Combien de temps a duré le tournage et quelles sont les personnes de votre équipe ? AMH : A Zagreb, on a tourné pendant cinq jours dans les salles du MSU. C’était en 2015. Ensuite, au printemps 2016, nous avons tourné encore cinq jours, mais à Paris. En tout, cela fait dix jours. Après, il y a eu trois semaines de montage à Zagreb ainsi que le temps de faire la traduction des sous-titres. Finalement, le film a été diffusé sur HTV en 2016. Mon équipe était constituée d’un cameraman et de deux ingénieurs son et lumière. C’est l’équipe qui est venue avec moi à Paris. Quant aux personnes qui ont travaillé à Zagreb, il faut mentionner encore notre monteuse et notre productrice… Oui, oui, je travaille beaucoup avec des femmes!
Merci beaucoup pour cette description détaillée du tournage. Je pense que nos lecteurs sauront l’apprécier car ce n’est pas souvent que l’on a l’occasion de décrire ce qui se passe derrière la caméra.
Encore une petite question, s’il vous plaît. D’après vos informations, est-ce que la position de la Croatie concernant Radovan Ivšić a changé depuis la diffusion du film et depuis l’exposition au MSU ? AMH : Il n’y a rien de nouveau…
Votre film est un film qui suscite de belles émotions. Il y a des moments magnifiques et des moments dramatiques. Si vous êtes d’accord, j’invite nos lecteurs à le visionner à travers le lien ci-dessous. Je vous souhaite beaucoup de succès dans votre carrière et si votre chemin vous ramène de nouveau vers notre pays, sachez que vous pouvez toujours compter sur notre association des anciens étudiants des universités croates.
Maja Cioni, AMCA-Paris
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